Tribune : E-commerce: stratégie de livraison, 4 erreurs à éviter

Publié par Alexandre Vienney (bp2r) le 8 juil. 2021 | Mis à jour le 12 juil. 2021 à 17:37

S’adapter à des flux de livraison atomisés, synchroniser flux B to B et B to C… Les retailers omnicanaux doivent distinguer leurs process B to B des stratégies à mettre en oeuvre pour la livraison de particuliers.

Ces dernières années, et encore plus avec le Covid, l’e-commerce a fait l’objet d’une grande ruée vers l’or de la part des distributeurs. Mais les perspectives de croissance à deux chiffres et la forte pression concurrentielle d’un secteur où des parts sont à prendre ont logiquement abouti à une certaine précipitation. Le transport, entre autres, en a souvent fait les frais. Pourtant, le sujet est clé. Construire une organisation e-commerce viable ne consiste plus seulement à mettre en place un canal de vente digital efficace. Il s’agit avant tout de faire coexister efficacement tous les canaux de vente possibles : proposer aux clients une expérience d’achat optimale, indépendamment du canal utilisé, mais aussi parfaitement fluide d’un canal à l’autre. On devine facilement l’ampleur des implications en termes de flux physiques (logistique et transport) ou de flux d’information.

Typiquement, un client doit pouvoir commander en ligne, être livré chez lui au départ d’un magasin et renvoyer son colis à partir d’un point-relais, cela sans relever d’incohérence d’assortiment ou de pricing. Mais combien de distributeurs disposent à ce jour d’une organisation transport susceptible de proposer une telle expérience à leurs clients ? La précipitation évoquée plus haut a eu des conséquences fâcheuses, rendues particulièrement visibles avec la croissance de l’e-commerce ayant accompagné les différents confinements. Nombre d’entreprises sont désormais conscientes de la nécessité de revoir de fond en comble leur organisation transport. Alors, comment éviter de se retrouver dans cette situation?

1. En évitant d’appliquer les mêmes recettes qu’en B to B

Beaucoup de distributeurs physiques sont habitués aux flux de distribution magasin : cadencés, réguliers et prévisibles. Au contraire, les flux de livraison B to C sont atomisés, irréguliers et requièrent des services supplémentaires associés à la livraison. En termes de prérequis, de process, de coûts à l’unité, de critères d’achat ou d’outils à déployer, cela n’a rien à voir. Les attentes des clients, là encore, ne sont pas les mêmes, tant en termes de délais que d’information.

Pourtant, nombre d’entreprises choisissent d’adopter les mêmes recettes, d’appliquer le même mode opératoire pour livrer leurs magasins et leurs clients. La question des pics d’activité (en fin d’année par exemple) n’est alors pas prise en compte lors des appels d’offres transport et le cahier des charges est le même qu’en B to B. Les plans de transport sont inchangés. Les sites logistiques ne sont pas adaptés aux contraintes de l’e-commerce. L’organisation repose sur des outils inadaptés, utilisés en B to B: TMS maison vieillissant, outils internes figés, voire logiciel de gestion commerciale péniblement adapté au transport… Tout cela entraîne une dégradation de la rentabilité, une insatisfaction des clients et même un impact environnemental supplémentaire.

2. En spécialisant sans siloter

Une organisation de transport taillée pour s’occuper de flux de distribution B to B ne sera jamais adaptée aux contraintes de l’e-commerce, aussi efficace et rodée soit elle. Aussi, de nombreux distributeurs décident tout simplement de mettre en place de toutes pièces une organisation transport B to C existant parallèlement à l’organisation classique. Cette option n’est pas mauvaise en soi, et il s’agit certainement d’un meilleur parti pris que d’insérer au chausse-pied l’e-commerce dans une organisation préexistante. Toutefois, cette option comporte de nombreux risques. Dans une démarche omnicanale, il est capital de tirer profit des synergies potentielles entre B to B et Bto C. Le stock des magasins doit être visible pour les cyberacheteurs. Les enseignes peuvent servir de site d’expédition (ship from store) comme de retrait (click and collect) pour les achats en ligne. Les flux B to B et B to C doivent être synchronisés et donc l’information circuler librement d’un service à l’autre. Dans ce contexte, il faut être vigilant lors de la mise en place d’une organisation parallèle.

C’est d’autant plus le cas que la logistique e-commerce est un sujet stratégique, souvent porté par le département marketing comme un prolongement de l’offre digitale et du site de vente en ligne. Beaucoup de distributeurs font donc cohabiter deux services B to B et B to C, pas forcément habitués à travailler ensemble, avec fatalement peu de compétences transport au sein du marketing. Inutile de dire que le risque de silotage est élevé, avec tout ce que cela entraîne: outils différents pour faire la même chose, double saisie des données, incohérences pour le client dans l’offre de services, etc.

3. En changeant d’approche sur les outils

En B to C, les attentes des clients sont très spécifiques, très pointues et les outils généralement en place sur les flux B to B se révèlent largement insuffisants. Les professionnels de la supply chain dans les activités de distribution traditionnelles déplorent régulièrement que le transport soit une boîte noire: on sait exactement ce qui rentre dans un camion, ce qui en sort, mais entre les deux, c’est le néant informationnel. Un tel mode de fonctionnement n’est pas une option en B to C: le client attend d’être tenu informé de la localisation de son colis et de la date, voire l’heure, prévisionnelle d’arrivée, pour être en télétravail ce jour-là, pour savoir quand se déplacer en magasin pour retirer un produit ou même pour agir afin de modifier les modalités de livraison (livré au bureau plutôt qu’à domicile).

Encore une fois, l’omnicanalité passe largement par l’utilisation du réseau physique (magasins) pour l’e-commerce comme site de retrait ou d’expédition. Cela a des implications majeures sur le besoin de synchronisation entre flux B to B et B to C, et sur l’approvisionnement du magasin qui répond alors à deux canaux de vente, dont l’un est nettement moins calibré et régulier. Les outils de traçabilité, de visibilité, mais aussi de pilotage de la qualité de service sont donc essentiels. Les interfaces doivent être multipliées. Aussi les outils développés en interne -et poussivement mis à jour- ne sont plus une option. Les services clients saturés de réclamations dont la plupart consistent en « Où est mon colis? » sont monnaie courante, alors même que de bons outils pourraient y répondre automatiquement.

4. En ne misant pas tout sur la technologie

Si être technophobe serait assurément une lacune, il ne faudrait pas oublier les fondamentaux. Réussir la transition e-commerce de son transport demande assurément une dose conséquente d’innovation, mais cela exige également de s’appuyer sur une base solide. Une organisation inefficiente ne parviendra pas à utiliser convenablement les outils que le marché met à disposition. Ceux-ci sont nombreux, souvent très spécialisés et effectivement porteurs d’un fort potentiel. Mais, déployés sans feuille de route précise ou besoins nettement identifiés, ils contribueront plus probablement à accentuer les déficiences existantes en noyant les équipes sous des informations supplémentaires qui ne seront pas exploitées. Alors, en e-commerce, en transport, en toute chose en réalité : d’abord la structure, puis les compétences et les process, et ensuite seulement les outils.

Ces quelques éléments ne sont qu’une base de départ pour établir une stratégie transport solide pour l’e-commerce. Le sujet est piégeux mais passionnant, car c’est réellement une nouvelle façon de penser le transport qui émerge. Loin d’être une commodité dont il faut contenir les coûts, il devient le fer de lance des services que les distributeurs doivent désormais proposer à leurs clients pour espérer s’imposer.

L’auteur

Alexandre Vienney, directeur pôle distribution expertise de bp2r, a d’abord travaillé au sein du groupe CAT, puis de Faurecia, comme chef de projet transport, avant de rejoindre Carrefour. D’abord conseiller transport du département IT, il devient ensuite chef de file transport du groupe. Il rejoint bp2r en 2013.